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Le poison rampant de la dette publique

La SA Belgique n'est pas au bord de la faillite, mais au seuil d'une longue période d'austérité pour éviter la zone dangereuse. Nous paierons comptant l'héritage de vingt ans de laxisme budgétaire.

Quelle différence quelques pourcentages peuvent faire. Le krach des cryptomonnaies et la chute du gourou Bankman-Fried en 2022, les fonds de pension en déroute et le plus court mandat de Premier ministre de l'histoire du Royaume-Uni sous Liz Truss, l'implosion de la Silicon Valley Bank : tous victimes de la hausse des taux d'intérêt. La fin de l'argent gratuit est la fin des châteaux en l'air et de la dette. Une fois que la confiance s'estompe, les marchés financiers numérisés peuvent entamer leur agonie en un instant.


Qu'en est-il de la Belgique ? La réalité de près de 600 milliards de dettes publiques, du plus grand déficit public de la zone euro, de déficits structurels non liés à la crise, de dépenses du vieillissement non couvertes, de notre incapacité à réformer : c'est un cocktail diabolique pour une tempête parfaite sur les marchés financiers. Entre nous et cette tempête se trouvent les réserves d'épargne des ménages belges et le bouclier de l'euro. Un simple jour hors de la zone euro, un seul jour où le franc belge reviendrait comme monnaie sur le marché, et nous devrions nous précipiter instantanément vers l'euro, ne serait-ce qu'après une restructuration drastique.


Le contrôle budgétaire fédéral peut compter ces jours-ci sur une manne de six milliards d'euros, grâce à la baisse des prix de l'énergie et à l'inflation ralentie. Ce cadeau divin pour la coalition Vivaldi montre à quel point nos finances publiques sont sensibles aux circonstances extérieures. L'inflation peut de nouveau augmenter et risque en tout cas de rester plus élevée qu'auparavant. Il en va de même pour les taux d'intérêt. Cette réalité signifie moins de marge et plus de déficits. Le Bureau du plan prévoit près de 18 milliards d'euros de charges d'intérêts annuelles d'ici 2028, contre un peu plus de 8 milliards l'année dernière.


Il y a aussi les dépenses croissantes pour les pensions et les soins de santé : huit milliards supplémentaires anticipés d'ici 2028, sur une base annuelle. Aucun tampon n'a été constitué pour cela, aucune accélération de croissance spontanée n'y est associée – bien au contraire – et cela cannibalisera encore davantage l'espace pour l'innovation politique dans ce pays. Nous avons vécu au-dessus de nos moyens de manière systématique au cours des deux premières décennies du XXIe siècle : pour chaque euro de croissance, un euro et demi de dépenses publiques supplémentaires, selon la Banque nationale. Tous les efforts que nous avons déployés dans les années 1990 pour rejoindre l'euro ont été anéantis. Le poids de l’état en rapport avec la taille de notre économie a augmenté de dix points de pourcentage par rapport à l'Allemagne et aux Pays-Bas.


La SA Belgique n'est pas au bord de la faillite, mais sur le seuil d'une longue période d'austérité pour éviter la zone dangereuse. Nous paierons en espèces l'héritage de notre indiscipline budgétaire. En plus des charges d'intérêts et des coûts liés au vieillissement de la population, il y a une nouvelle ère pour l'énergie, le climat, la mondialisation et la défense. L’état est sollicité pour maintenir les coûts de l'énergie supportables, accélérer la durabilité climatique, soutenir l'économie par une politique industrielle et mettre la défense nationale en état de guerre. En raison des déficits budgétaires et de l'orientation de nos dépenses vers les prestations et allocations sociales, nous manquons de force pour les investissements futurs.


Les Pays-Bas ont déjà mis de côté 35 milliards d'euros pour le climat et l'énergie, l'Allemagne 200 milliards. Bientôt, l'Union européenne va assouplir encore davantage les restrictions sur les aides d'État pour les grosses entreprises. Les pays plus pauvres du sud bénéficieront de la majeure partie des subventions européennes dans le contexte du plan de relance de l’UE: l'Italie et l'Espagne recevront respectivement 190 et 70 milliards d'euros. Trop riche pour bénéficier d'une aide européenne et trop pauvre pour financer notre propre relance, la Belgique est impuissante et tombe entre deux chaises. Personne ne manifeste pour cela. Mais c'est un poison insidieux qui mine l'industrie, la prospérité, le bien-être, la sécurité et la durabilité pour les générations futures.


Marc De Vos est Professeur à l’Univesité de Gand, fellow auprès de l’Institut Itinera et consultant en stratégie


Colonne paru dans l’Echo du 05.04.2023


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